Gestion privée de fonds publics : la réponse idéale ?

Si le public est à l’intérêt général ce qu’est le privé à la rentabilité, l’idée d’associer les deux paraîtrait d’une utilité redoutable. Si seulement les choses étaient aussi simples ! Mais voilà : elles sont plus complexes et la gestion des fonds publics par des organismes privés n’est pas forcément la réponse idéale.

Le cas du transport public nous montre par exemple à quel point il est nécessaire de conserver des actionnaires publics qui permettent au plus grand monde d’accéder à la mobilité. Or, si les trains étaient gérés par une entreprise privée en France, comment pourrait-elle garantir que les petits villages ne soient pas vite abandonnés ?

A contrario, c’est justement le manque de moyens qui rend le plus grand nombre mécontent, constatant par endroits une forte dégradation du niveau de service : retards fréquents, manque de confort ou d’entretien des lignes et des wagons.

Certains voient là l’appel criant d’un modèle a priori sans défaut : le mode de gestion public privé — où l’intérêt public se fait (bien) servir par le privé, jugé plus efficace.

Toutefois, à y regarder de plus près, toute alliance économique entre une entité publique et un privé comporte ses inconvénients et des risques propres.

Parcourons-les rapidement, en commençant par le moins risqué et en finissant par le plus intégré.

1) La controversée subvention

Le partenariat public privé le moins risqué est sans doute le plus connu. Une subvention est le versement d’argent public à une structure privée pour un projet d’intérêt général. Par exemple, le don d’une mairie au Secours Populaire pour l’achat d’un camion frigorifique représente une subvention.

Le risque ? Que l’argent soit dépensé pour autre chose ! C’est pourquoi de plus en plus de mairies affectent leurs subventions à des projets précis ou bien des investissements ciblés — comme le camion évoqué plus haut ou lorsque les fonds sont débloqués au fur et à mesure de l’avancement d’un projet. Ces sommes sont alors plus faciles à contrôler que des subventions de fonctionnement général.

2) Les contrats et le risque de perte de pouvoir

Il arrive que des collectivités passent des contrats avec des privés, pour confier certaines tâches non réalisables en interne. Encadrés par le Code des marchés publics et des règles très strictes, notamment en matière de concurrence et transparence, les contrats passés avec des privés ne se déroulent toutefois pas systématiquement sans problème.

La délégation de service public (DSP) est, par son caractère engageant sur le long terme, le type de contrat qui illustre le mieux ce risque.

Prenons un exemple.

Imaginons que dans une ville, après une procédure d’appel d’offres menée en toute objectivité, la municipalité choisisse de déléguer à un opérateur privé la gestion du crématorium municipal. Imaginons ensuite que, comme beaucoup de ces cas de figures, ce contrat de DSP soit d’une durée de 10 ans.

Comment ne pas penser qu’après 10 ans, lors d’un appel d’offre visant à renouveler la concession, l’entreprise n’ait pas un certain avantage commercial face à ses concurrents ?

En outre, pour le personnel travaillant pour une telle structure — bel et bien privée -, la sécurité de l’emploi n’est-elle pas plus forte que dans une entité privée qui ne détendrait pas de contrat de DSP sur 10 ans ? On comprend alors que la différence entre un cadre du secteur public et un autre d’une société en DSP ne s’éprouve pas en fonction de la nature juridique de son employeur.

Quand certaines personnes évoquent le cas de la SNCF en se demandant pourquoi l’Etat n’a pas déjà décidé d’effectuer un tel changement vers la privatisation, tout en imposant un certain niveau de service public, il manque cet élément. Certes, cela est juridiquement envisageable. Mais le conducteur de train qui aujourd’hui est déployé en urgence à 3h du matin pour remplacer un collègue malade ne sera pas miraculeusement plus efficace lorsque son contrat sera passé dans le privé !

3) La garantie d’emprunt — ou la catastrophe peu probable

Une forme plus méconnue de l’aide publique consiste à ce que l’organisme se porte garant pour une structure privée qui contracterait un emprunt bancaire.

L’idée et le risque qu’elle comporte sont simples : si tout se passe bien, tout le monde est gagnant : le partenaire public permet au privé (souvent des associations ou des bailleurs sociaux) de décrocher un contrat d’emprunt avec une banque. Sans coût direct pour la collectivité, la garantie lui permet alors de soutenir des projets souvent importants tout en provoquant un véritable effet levier pour l’emprunteur. En effet, en garantissant son prêt, le public cautionne le montage du projet et du financement, ce qui apporte une assurance supplémentaire au prêteur.

Seulement, il arrive parfois des catastrophes où l’emprunteur ne peut plus rembourser. Et dans ce cas, c’est bien l’argent public qui rembourse l’intégralité du montant emprunté à la banque !

En finance, dans ce type de montages, le risque financier pris par le garant peut être compensé par un intérêt ou des frais de dossier. Toutefois, les établissements publics ne sont pas des organismes bancaires autorisés à prélever ce type de primes de risque. C’est pourquoi l’intégralité du risque lors de garanties d’emprunt est ainsi soutenu — in fine — par l’impôt.

4) La fusion des intérêts : la Société à Economie Mixte (SEM)

La forme la plus intégrée et certainement, celle où l’organisme public s’investit à l’origine même du projet, est la création d’une société. Avec des associés à la fois publics et privés, l’existence de l’entreprise est justifiée par un besoin de service public. Par exemple, pour de la construction ou du transport. L’avantage principale de ce montage est que la SEM est soumise à la législation des structures privées, avec sa flexibilité et sa rapidité de traitement, qui lui confèrent de véritables atouts sur le marché.

Toutefois, les décisions de gestion des SEM bien souvent, oscillent entre leur objet social (portant un projet d’intérêt général) et sa nature juridique d’entreprise privée (censée viser une croissance économique par dessus tout). En effet, l’actionnaire public restant bien souvent majoritaire, toute la gouvernance de l’entreprise s’en retrouve “publicisée”, avec parfois le risque que la rentabilité ne constitue pas la priorité absolue de la société. En effet, les élus siégeant dans les SEM de leur périmètre d’intervention ont bien souvent — et c’est tout à leur honneur — une démarche et des réponses d’investisseurs publics. Même dans le rôle d’un actionnaire d’une entreprise privée, certains sont alors enclins à diriger les SEM comme ils dirigent des organismes publics en privilégiant l’intérêt public.

Au final

Il est certain que l’association du privé avec le public représente l’opportunité de faire émerger des synergies entre des compétences distinctes et complémentaires. Il serait en revanche illusoire de considérer que c’est un mode de gestion hyper efficace qui servirait l’intérêt commun sans faille.

Ce n’est pas parce que la SNCF est publique qu’elle rencontre les problèmes de gestion qu’elle rencontre. Et bien souvent, son statut n’influence pas non plus la manière dont elle trouve les solutions, mais c’est bien son objet social lui-même — fondamentalement public et d’intérêt général.

Qu’une association soit subventionnée ne résout pas les problèmes qu’elle combat, et la rendre entièrement publique ne rendrait pas ses bénévoles plus investis sous prétexte qu’ils seraient (mieux) payés.

Comme souvent dans les relations contractuelles et financières, et a fortiori quand on y mêle des considérations politiques, les missions d’intérêt général devraient faire l’objet de ce qui leur manque sans doute aujourd’hui : plus d’information et de sensibilisation aux enjeux et aux différences juridiques et financières dans leur gestion publique-privée. Ceci éviterait bien des critiques — qui émanent pourtant le plus souvent de la part de tous, de la meilleure volonté du monde.